Stephen King ! * Je vois mes petites dissipées qui rigolent... *
On s'attendait sans doute à ce que je fasse part des techniques de mes modèles (dsl, j'ai pas ça en stock), ou que je dissèque les procédés d'écriture de mes écrivains cultes, genre Dostoïevski, Hamsun, Fante, Hesse, Jay McInerney, Bret Easton Ellis, Sherwood Anderson, Dickens, que sais-je ? il en est tant.
Bien sûr, j'ai étudié les romans qui m'ont fasciné, et me fascinent encore.
J'ai passé au tamis les Nabokov, les Dosto, les Dan Simmons, les Silverberg... ou les Chapsal, les Duras, les Despentes, les Le Clézio... J'ai fait des analyses détaillées, j'ai dû acheter tous mes romans cultes en 4 ou 5 exemplaires - au fur et à mesure qu'il n'y avait plus de place en marge pour les annoter...
Aucun écrivain ne m'a jamais réellement bluffé. Tous, je les analysais... et découvrais le nombre incroyable de "fautes" qu'ils commettaient, le nombre de phrases approximatives qui avaient échappé à leur sagacité, leurs maladresses (un jour je vous donnerai qqs exemples concrets de ce qu'un Nabokov - ou un Kundera, mais là c'est trop facile - peut s'oublier et partir en vrille alors même que je sais bien, moi, que là, le mec c'est pas un effet de style, il s'est bien planté)...
Ainsi j'en suis souvent venu à réécrire de A à Z (pour moi seul ? non non, ma belle), les romans qui m'avaient le plus touché.
J'ai ENTIEREMENT réécrit mes romans favoris. Justement parce que étant pour moi les romans repères qui me réconciliaient avec la littérature, je les voulais parfaits (ça va, le chevilles, Terence ?).
Sauf un : Dostoïevski. Mais ça, c'est une deal perso entre lui et moi.
Alors voilà que je vais ici me référer à un écrivain dit "mineur". Que je vais vous proposer deux pages de ce qu'il a écrit sur son art...
Eh bien, le King (le seul, le vrai, pas le crétin machiste et prétentieux dont on a commémoré aujourd'hui les trente ans de la mort), Stephen King, est celui qui a écrit les choses à la fois les plus simples, les plus profondes, et les plus humbles, sur l'art d'écrire.
Les voyages formant la jeunesse - je vous en fais part.
Juste deux extraits de ses réflexions sur l'écriture - l'un issu de son apprentissage, le deuxième à partir d'une question qu'on lui posa lors d'une de ses conférences.
1) Extrait de "Ecriture - Mémoires d'un métier" [2000 ; 2001 pour la trad. française]
[EDIT] D'abord un petit insert :
On notera le titre - trad. fidèle du titre américain - d'une formidable humilité...
[Sur le mot "métier"]
Stephen King ne se la joue pas, c'est un garçon sincère et tourmenté, à 60 ans tjrs fidèle à lui-même, et il ne cherche pas à donner de leçons, juste à témoigner de son "métier" - mot qui prend toute sa noblesse dans la bouche de Stephen King - qui exerce sa passion. Il exerce sa "passion" !... donc pas un "métier" ? ben si, car ce mec écrit par nécessité intime et passion, mais bosse comme un dingue... C'est sa passion, mais c'est aussi son job, il doit être le meilleur possible pour distiller toute la substance qu'il veut nous faire partager.
Et écrire, c'est les muses si on veut, c'est surtout, chez l'écrivain comme en tout art, un travail de chaque instant, dans l'intendance des tâches quotidiennes comme au moment pointu : le moment du face à face avec l'ordi, et où on se lance dans l'expression de soi : taper le texte.
Bien, Stephen ? C'est à toi...
(Hors micro :) Rhalala... Allez, Stephen, sois pas timide...
[Ecriture - Mémoire d'un métier, p. 65 à 67 de l'Ed. de Poche]
[Juste avant ce passage, Stephen parle de ses laborieux débuts dans l'écriture (pour des journaux, pas l choix).
Il n'a pas une thune, est complètement perdu en tous domaines, y compris affectif, le spectre de l'échec total et d'une vie ratée ne cesse de le hanter. Bref ! Il cherche à vivre de sa plume, et il rame comme c'est pas possible, le pôvre.
Ici, il va enfin trouver qqn qui va lui "apprendre" des trucs importants pour écrire sans fioritures, être lu, obtenir un petit succès, et enfin - peut-être - pouvoir gagner qqs dollars avec sa plume.]
"On avait parlé de moi, et on s'était interrogé sur la manière d'orienter ma "plume turbulente" vers des voies plus constructives.
Higgins avait contacté John Gould, rédacteur en chef de l'hebdomadaire Weekly Enterprise de Lisbon, et avait appris que le journal avait un poste de journaliste sportif à pourvoir...
"Prends ça ou crève", semblait dire l'oeil du conseiller d'orientation. Une interprétation de parano ? 40 ans après, je crois qu'il le pensait vraiment. Prends ça ou crève.
Intérieurement, je râlais. J'étais quitte avec le Dave's Rag, presque quitte avec The Drum, et voilà que le Weekly Enterprise de Lisbon me tombait dessus.
Au lieu d'être poursuivi par les eaux, comme Norman McLean dans "La Rivière du Sixième Jour", j'étais un adolescent dont la Némésis était les journaux. Que faire, cependant ?
Une dernière vérification de la petite lueur dans l'oeil du conseiller... et je répondis avec empressement que je serais ravi d'avoir un entretien d'embauche.
Un entretien d'embauche ! Pour un poste de journaliste sportif !!! Le sport, j'y entravais que dalle !!!!!!
Le rédac' chef - Gould - m'accueillit avec une certaine réserve, mais aussi avec intérêt. Si cela me convenait, on se mettrait mutuellement à l'épreuve, me dit-il.
Devant cette malice dans l'ouverture, je me suis senti loin des bureaucrates habituels, et me sentis capable de faire preuve d'un peu d'honnêteté. Je lui avouai donc que je n'y connaissais pas grand-chose en sport. Voici ce qu'il me répondit :
"Les sports ? Ce sont des jeux que même les ivrognes arrivent à comprendre quand ils les suivent à la télé du fond d'un bar. Vous apprendrez. Suffit d's'y mettre."
Il me donna un énorme rouleau de papier jaune sur lequel taper mes textes - je crois que je dis encore l'avoir qq part -, et il me promit un salaire d'un demi-cent le mot.
C'était la première fois que qqn s'engageait à me payer pour ce que j'écrirais.
Mes deux premiers articles concernaient un match de basket au cours duquel un joueur de la Lisbon High School avait battu le record de points. L'un était un simple compte-rendu, l'autre, un aparté sur la superbe performance de Robert Ransom.
Je les apportai à Gould dès le lendemain, qu'ils puissent être prêts pour le vendredi, jour où sortait l'hebdomadaire. Il lut le compte-rendu, y apporta deux corrections mineures et le mit de côté.
Puis il attaqua le portrait, un gros stylo noir à la main.
Au cours des deux années que je passai encore à LHS, je suivis consciencieusement tous les cours de littérature anglaise, ceux de composition, de dissertation, de poésie, de même que les ateliers d'écriture. Mais John Gould m'apprit plus que n'importe lequel d'entre eux, et ce en moins de dix minutes.
Je regrette de ne plus avoir ce texte, qui aurait mérité d'être encadré avec toutes ses corrections, mais je me rappelle assez bien comment il se présentait, une fois subi le coup de brosse du stylo noir de Gould.
Voici un exemple :
".....................
[Pause, ma petite soeur m'appelle, une minute SVP, je reviens.]
Terence