La grande écrivaine bidon était là, ce midi. Le boss m’avait filé un bureau pour lui « parler ». Yes, natürlisch, faut qu’je fasse le sale boulot. J’devais juste rapporter le manus' avec mon rewriting. Et voilà qu’elle n'a plus de contrat pour son prochain bouquin. En revanche elle a un contrat sur elle.
Bon, m’en fous, « j’ai reçu des ordres supérieurs, il faut que je les exécute, ne vous agitez pas ».
Elle éclate en sanglots pendant l’entretien. Je ne pense qu’à une chose : « Dieu qu’elle est moche. »
Néanmoins, je la regarde d’un air doux et lui propose une cigarette. Sa dernière. Elle est condamnée à mort.
« Vous fumez ? » me demande-t-elle sottement. Je dis : « Non, je ne fume pas. » Elle est laide et pollue mon oxygène. Je souris. Elle est malade. Un cancer probablement. Elle a la tête du crabe. Elle finit sa clope.
Je parle, je parle, je parle… Elle a pas le raccord rapide, la pauvre.
Je l’écoute à présent. Je me dis, j’ai fait le sale boulot, mais là c’était une œuvre de salubrité publique. Je suis out. J’ai RV pour le déjeuner avec un ponte mais c’est tout près de la rue Racine, c’est cool.
Bon, t’as fini de chialer, pétasse. T’es pas foutue de faire ton job, faut que je me tape ton boulot et tu me fais paumer une plombe. Tu prends tes antidèps, et casse-toi.
Elle s’épanche. Je suis tellement, tellement charmant. Ouais, c’est clair, abrège.
Putain ! Pourquoi tjrs des auteurs aussi caves ? Comment bosser avec ces affalés de l’amertume et l’envie ? Leurs textes de merde ne sont que le reflet de la laideur que l’implacable miroir leur renvoie depuis l’enfance.
Au retour, passé faire 20 mn d’UV pour oublier le métro sordide.
Regardé les seins de la plus jolie des hôtesses de Point Soleil.
15 h 30
Interrompu par coup de fil d’Odile. Abrutissant. Pendant dix minutes me suis demandé comment raccrocher. Je me ramollis ces jours-ci.
Bon, j’ai donc vu l’impudique Nadia se pavaner les seins à l’air, l’air de rien, elle m’avait vu je sais qu’t’en rêves, allez, un jour j’aurai bien vingt secondes pour m’occuper de toi.
Elle changeait de T-shirt dans un coin cabine qu’elle avait bien pris soin de laisser ouvert. Menue, joli teint. Pro des UV, mais mon hâle est mille fois plus beau.
Puis Stéphanie, au comptoir, qui me demande si je passe à la cabine massage. Pas cette fois, jeune fille.
16 heures
« A ce moment, mon auto-critique prit fin. Si ça continuait, j’allais me cogner la tête contre les murs en pensant à mes ex-femmes. » Brian W. Aldiss, L’Autre Ile du Dr Moreau, p. 188.
Satsu, une gamine de 5 ans, se livrant aux plaisirs du sexe avec le héros du livre… Je ne m’étais pas souvenu du côté transgresseur de Aldiss (pp. 161-162, et 215 ; Presse-Pocket, coll. SF)
« Il faut que je me décide à dire toute la vérité, il y avait aussi Satsu… »
Quatre femmes désirables dans ce bouquin. Deux leurres : Bella, la femme-chat, et Heather, la servante karateka. Deux nymphos : Lorta, la femme-otarie, et donc Satsu…
Excellente surprise, de relire ce truc. D’Aldiss, je ne connais d’autre que Frankenstein délivré. Acheter tous ses romans.
J’aime ses ruminations métaphysiques pessimistes. Pessimistes, mais aussi sarcastiques et jubilatoires, car ce pessimisme se transforme selon les absurdités des situations, et pourtant... logique parfaite de l’intrigue, et cette résolution à ne rien taire des émois sexuels les moins avouables.
17 h 30
Coup de fil de Paul. Voulait m’emprunter de la thune.
Mail de félicitations de mon boss. Boulot impec, l’écrivaine s’est effondrée, elle a pas moufté qd on l’a virée. Nickel-chrome. Le boss ajoute : « J’ai autant besoin de toi que tu as besoin de moi. » Flatteur, va !
Shampooing couleur. Châtain foncé. Nul. Trop foncé. Déprécie ma peau.
Muscu légère. 1 heure à peine, un peu n’importe quoi.
Puis masque argile + Issima de Guerlain, « Midnight Secret, soin spécial nuit brève ».
Pleine forme. Je repense à ma petite pucelle il y a un mois, ramenée du Queen, et je rigole car elle m’inspire ceci :
La fille au sexe étroit m’encanaille
Me bague le doigt d’son hymen en criant « Aïe ! »
Me bise la langue roucoulant comme une caille
Me rouge la joue et rit :
« Je t’épouse quand maman funéraille ! »
La banque a fermé à 17h15. Anne Schwarzel, même pour dire non, aurait dû appeler. Cette salope me fait mariner.
Cette attitude misérable à mon encontre, là encore, normal, construit lentement dans son corps radin des tumeurs à tubercules galopantes, elle devrait faire attention. La mesquinerie provoque le désordre organique – info connue mais non médiatisable, car ceux-là même qui s’occupent de politique et de la diffusion des infos sont mesquins et malades...
D’où multiples écrans-échos qui masquent aussi définitivement l’information que le traumatisme de la naissance masque les souvenirs d’avant-vie.
18 heures
Face à moi, une affichette de Nico à la fin de sa vie, à Ibiza. Pas si triste. Son visage figé aux angles aplatis me fait penser à la belle gueule cassée de mon dealer.
Notamment qd il dansait, statue massive de supplicié implacable pour ses bourreaux, face à moi, au Pousse-au-Crime, en pleine toile d’araignée de la rue de la Soif (rue Princesse).
Coup de blues. J’ai fini mon job, tranquillos, terrible envie de bouger, et je refuse, car qd je commence ça va très loin, et j’aime encore trop la baston. Mais je tiens. Suffit que je me remémore la nuit du 9 septembre 2004 où je me suis retrouvé en traumatologie faciale à la Pitié-Salpêtrière.
Une bénédiction ça a été. Destroy OK, mais je supporte pas les impasses.
Je regarde la verrière, la nuit m’appelle. Mais j’ai d’autres passions.
Et le souvenir des deux petites heures passées hier soir dans mon QG de Montparnasse me rend plus lucide. Y’avait les sisters. J’étais énervé, j’ai fait l’idiot, j’ai hésité, et puis j’ai préféré rentrer chez moi, seul.
Pauvre Delphine qui avait si froid sur le trottoir, m’attendant dehors alors que je buvais avec Laure. Elle attend encore…
Patricia, un moment, qui me dit : « Viens ! On va tirer un coup ! » Avec un petit air vicieux qui ne lui va pas du tout.
Je suis rentré seul. Sans nana je veux dire. Un mec magnifique, env. 19 ans, de l’agence Elite il m’a dit, m’a raccompagné en voiture. Il était entre 21 h et 22 h. Il m’attirait carrément physiquement.
Je lui ai demandé de monter. Il a d’abord refusé, arguant que je lui faisais peur. Mais on a discuté un moment dans la voiture. M’a dit que je lui faisais penser à un personnage de Bret Easton Ellis. Je connais pas trop, juste ses deux derniers.
Dans la voiture, il avait Less than zero. Sans hésiter il me l’a filé : « Lis ça ! »
Et puis il a accepté de monter. On s’est servi un Jack Daniel’s. Il s’est amusé avec mon sabre samouraï. « Je me méfie de toi », me dit-il malicieux. Lui ai donné une bio de Richard Brautigan – c’est en parlant de cet auteur que j’ai été le voir sur un bout de comptoir.
Ouais, ce mec était trop beau, j’allais pas laisser passer l’occasion.
Julien…
A part ça, mon comportement a été ridicule.
Bon, on a échangé nos numbers.
Et j’ai été sur OB. Un mec avait lancé un fil « Suicide ». J’ai pété un plomb. Le suicide je connais.
Je crois qu’entre hier et tout à l’heure, je n’ai encore jamais titubé aussi près du gouffre dans lequel j’ai si peur de précipiter avec moi mes parents.
La mort me surveille. Elle m’effraie vertigineusement aujourd’hui, parce qu’elle me promet une parenthèse de plusieurs minutes (ou siècles, peu importe). Un oubli de moi-même.
Je me dis « Pourquoi je fais un blog ? », « Pourquoi un journal intime ? », « Pourquoi je tape ces lignes ? ».
- Heu… Pour mettre tes feux sous l’éteignoir du grand jour ?...
Baratin. Je change de vie. Juste ça.
Je veux dire tout ça, TOUT CA, alcohol, zigaretten, cocaïne, ecsta, etcaetera, c’est un PASSE, parmi d’autres passés, c’est tout – comme Marc-Aurèle a eu un passé, idem la comtesse de Ségur, kif-kif n’importe quel quidam dans une rue de Lutèce, pareil les dieux, les seigneurs, les fées, voilà, moi aussi j’ai eu un passé, des passés (trépassés).
Mais je ne suis pas dupe, je ne suis pas né (trépané), il n’y a pas d’avant, pas d’après, il y a mes mains qui peignent, jouent du piano ou écrivent, rien de plus rien de moins…
Je change de vie, comme tout voyageur temporel ou intemporel, je ne connais qu’un mot, le mot « voyage ». A chaque étape, on joue à un jeu avec ses petits camarades, ou on est tout seul et on se blottit contre un rocher pour se protéger des rafales, peut-être.
Donc j’arrête un jeu qui ne m’amuse plus, je passe la main…
J’arrête cette expérience, elle ne peut plus rien, RIEN m’apporter – oh je le savais depuis longtemps, je me lamente dessus depuis cinq ans – Isabelle est partie et je l’aime encore, Claudie est partie et je l’aime encore, etc., c’est une manière de piétiner, comme un gosse à qui on a volé son jouet, mais le gosse après la crise se calme, il va aller dormir et reprendre ses rêves, où en était-il déjà ?
Il faut bien que je passe à AUTRE CHOSE, je veux dire il faut que je puisse m’écouter, et faire ce que je me dis de faire, pas seulement me regarder tel, immobile dans le mouvement inertie du choc, de la claque, des coups pris et repris à avoir été plaqué par celles qui mettaient mon corps en transe.
Ayant perdu mon Amour Nocturne, Claudie, et mon Amour Diurne, Isabelle, je ne vais qd même pas recommencer et recommencer.
OK on se fait tjrs un peu mal, on s’écorche à passer dans les soupiraux étroits pour sortir à une nouvelle lumière ou une nouvelle nuit, tant pis, Terence, tu t’écorches vif, et après ?
Donc, disais-je, je tourne la page au lieu de m’hypnotiser sur celle-ci, nécrose compulsive obsessionnelle, je veux dire moi Terence, le jamais-né, je « m’extirpe de mes rites autiques » (je me cite, > « Retour de campagne du guerrier ivre »).
Pas fumer, pas boire, pas baiser, reconstruire mon corps aimé tout en armes, en larmes j’ai essayé de l’abîmer pendant cinq ans pour m’en venger. Je reconstruis mon corps.
Et ton âme, Terence ?
Dans tes rêves, ma belle.
Terence Carroll