J'ai écrit hier "Douleur, jeux, coups de foudre: le timing"...
Depuis, je suis tenaillé par une culpabilité imbécile, et bien que "LUCIDITY" soit à grandes lettres tracé au rouge à lèvres (oui je mets du rouge à lèvres parfois, vous savez le dressing code) sur chacun de mes miroirs, je suis "obligé" ce soir d'écrire ce petit article car m'obsède l'étrange voix de Sarah Kofman, découverte par hasard il y a un an en zappant d'une radio l'autre.
C'était une redif, je n'y avais pas entendu qu'elle était décédée. Scotché l'ayant écoutée toute la nuit total fasciné, marqué à jamais, j'ai dû user de ma séduction la plus malicieuse pour obtenir auprès de Radio France qu'on me remette illico presto l'enregistrement.
Je l'écoute souvent. Sa voix est devenue talisman. Ou le mantra qu'elle prononce en mon nom.
Culpabilité car je me suis octroyé le droit de citer, dans un texte léger, une déesse. Citer Wilde (il y a 3 jours), Lautréamont (hier), etc., peu importe. Ce ne sont que des auteurs cultes. Pas des dieux. Alors ce soir Sarah je suis en prière, et te relis.
J'ai appris ta mort il y a peu, en écoutant Michel Onfray faisant la pub de son dernier opus - je me demande quand il écrit celui-là, entre ses conférences, ses amours et ses promos, je vois pas. Mais ses lettres me touchent, puisqu'il me tient ;)) - fidélité à la parole donnée. Je l'écoute, c'est une faute n'est-ce pas ? - je prononcerai ma condamnation plus tard.
Mais le croisement improbable de Michel Onfray et Sarah Kofman !!! Bon, au final c'est très cohérent - pour moi-même. Lucidité et cohérence, maîtres mots. "Je relis ma lettre et la trouve - en somme - incohérente - et m'en excuse poliment." (Sublime Jacques Vaché, originaire de ma chère ville natale, Nantes, in Lettres de guerre, 1916.)
Cohérence pour moi-même, ces improbables croisements ! Ils me produisent, je ne crache pas sur la vertigineuse cohérence de mon apprentissage !!!...
Qui donc me guide ainsi, avec tant d'adresse, prolongeant le mystère ?
Je me suis beaucoup amusé, tout à l'heure, prenant un café hors de ma cambuse.
J'écrivais sur un carnet quelques lignes à envoyer par mail ce soir à une amie polonaise (Ewa, fais pas semblant, je sais que tu m'entends...), et bien sûr j'évoquais Gombrowitcz, lorsqu'une superbe fille est sortie des toilettes, passant toute fière me regardant droit dans les yeux...
J'ai failli éclater de rire, car aussitôt m'a envahi l'esprit une phrase toute bête du susdit Gombrowitcz : "Elle en sortit plus fière qu'elle n'y était entrée."
Pardonnez-moi, là je m'égare, pardon Sarah Kofman. Terribles digressions... Comme les souvenirs de rêves qu'on veut transcrire, au réveil, et qu'on mêle.
Sarah Kofman, ne t'inquiète plus de rien, je suis là. Bon, je crois qu'il vaut mieux que j'aille prendre le bouquin cité hier dans un moment d'égarement, explosé après plusieurs heures dans le curieux labyrinthe du forum d'OB. Une seconde, petite, je reviens...
Bon. Il traînait encore sur mon lit, le mutin bouquin... OK. L'imposture de la beauté. D'abord l'horrible nouvelle, juste au-dessus du copyright:
"Ce livre est le dernier livre de Sarah Kofman. Elle achevait de le mettre au point. Avant de partir, elle nous a laissé le soin de le publier. Nous le faisons aujourd'hui, fidèlement et dans le souvenir d'une amitié éditoriale de plus de vingt années."
Je vais me contenter de citer cette fille sublimissime - sinon je vais encore parler de moi, avec cette sale sensation d'autopromotion:
"On peut se demander pourquoi il y a chez Dorian Gray un tel culte de la beauté et le choix d'un mode de vie esthétique qui le fait transformer sa vie en une oeuvre d'art ET CONTEMPLER TOUT EVENEMENT HEUREUX OU MALHEUREUX COMME UN SPECTACLE." (C'est moi qui souligne.)
Je repasse à Wilde, hop, hop. Voilà... Lord Henry, à Dorian Gray :
"Portez si vous voulez le deuil d'Ophélie. Couvrez-vous la tête de cendres parce que Cordelia a été étranglée, mais ne gaspillez pas vos larmes pour Sibyl Vane. ELLE ETAIT MOINS REELLE QUE TOUTES CELLES-LA LE SONT."
Sarah Kofman:
"Regarder le passé sous l'angle artistique, devenir le spectateur de sa propre vie est pour Dorian une ruse afin d'échapper aux souffrances."
Bon, là c'est pas nouveau. Désolé, Sarah, j'ai pas trop le temps d'effectuer des corrections, IE va encore imploser en vol.
"La fatalité s'attarde toujours à tout ce qui se distingue physiquement ou intellectuellement. Elle épargne les médiocres. La fatalité de la beauté c'est sa nécessaire défaite, c'est le prix que doit payer tout être d'exception à la jalousie des dieux."
Ouf ! Rectification faite.
Et je termine cette petite forfanterie par une pensée émue pour les Dernières amours de Stefan Zechowski.
Terence Carroll